18.02.2015. Antoine et moi arrivons à l'embouchure de Rae Creek avec la Hart River. Au croisement de deux grandes vallées des montagnes Ogilvie, le paysage est grandiose : grande ouverture bordée de hautes montagnes dont les noms font très far west. Nous abandonnons l'objectif de Keno City et allons passer trois semaines dans la région. Voici quelques passages de mon journal (on avait vraiment beaucoup de temps...) et quelques photos. Deux de ces trois semaines nous avons décidé de les passer en solitaire, pour l'expérience, à 4 km l'un de l'autre.
08.02.2015 (le long de Rae Creek)
" Il existe des avantages clairs à la vie en cabane : simplicité, authenticité, recentrage sur soi et sur l'essentiel. En cabane, la to-do-list est toujours courte et le temps dont on dispose pour accomplir ces quelques tâches simples s'étend devant nous à perte de vue. Par contre en cabane, on s'oublie vite... On oublie vite où on est et pourquoi.
Avec des températures au-dehors de -40°C ou inférieures, cloisonnés dans une pièce de 4 mètres sur 4, on rêvasse. On se perd dans ses pensées. Tout autre occupation est un luxe : hier, la réparation de mes mocassins m'a enchanté - j'étais alors occupé toute l'après-midi, attentif, soigneux, tout à mon affaire. Et quand on ne se perd pas dans ses propres pensées, on se perd volontiers dans celles d'un autre, au travers d'un bouquin. Est-ce le manque de contraste, de perspectives qui rend l'immobilité source d'ailleurs, partout sauf dans l'instant présent ? L'esprit, enfermé dans un corps inerte, tend à s'élever de lui-même - par instinct de survie ? Comme si le monde poursuivait sans nous sa course folle avec le Temps. L'extérieur [de la cabane] en devient presque hostile... La cabane : un trou noir.
Prenez par contre votre courage à deux mains : superposez les couches, enfilez vos bottes et sortez affronter le dehors. Marchez ! Le mouvement est ordonnateur, la marche réaligne votre réalité à la réalité du monde. Chaque pas : une sensation ; chaque effort : une réalisation ; chaque souffle : une renaissance. Prenez de la hauteur ! Contraste et perspectives vous rendront vos objectifs, et vous retrouverez alors un sens à votre présence, ici et maintenant. "
24.02.2015
" Matinée douillette auprès du poêle [à bois], meilleur animal de compagnie. Je le câline et le nourris ; lui ronronne et me réchauffe le cœur. Scotchés l'un à l'autre, nous passons ensemble la première heure du jour. Celle que je préfère !
La cabane est endormie. Ses rondins encore un peu froids, engourdis. Les premières lueurs apparaissent à la fenêtre (trou dans le mur colmaté par deux épaisseurs de plastique) mais pas de trace du Soleil - non, lui c'est bien plus tard qu'il se lève, l'aube est encore longue. Je ne m'y attarde pas, rien de ce qu'il peut y avoir dehors ne m'intéresse : aucune envie de savoir de quoi va être faite ma journée. Ce qui m'intéresse est ici dedans, et je le partage exclusivement avec mon poêle. Rêvasseries. Je touille pensivement dans la grande soupe de mes souvenirs ; parfois, je m'arrête et la goûte, pour en vérifier l'assaisonnement. Ah... cette soupe-là ne retient que le bon, et pourtant j'y jette de tout ! Lecture aussi, ou écriture (c'est le poelle qui me souffle à l'oreille...). Écrire est agréable. L'encre et le papier gardent le secret de l'immortalité : ils figent mon moment, clarifient mes pensées. Ils me soulagent de ma légèreté, de la précarité de mon existence.
Calé dans ma chaise, les pieds au chaud, la fenêtre à ma gauche, une bougie sur un rondin posé à ma droite, et une tasse de chocolat chaud à la main, je savoure ces instants où je suis - et peut-être sont-ce là les seuls instants où moi aussi je peux jouir des quatre dimensions de l'Espace et du Temps.
Mais voilà mon ventre qui me rappelle à l'ordre : je suis toujours homme fait de chair et de sang, et le chocolat chaud ne lui suffit plus. Un frisson dans le dos. Il me faut, à moi aussi, mon carburant. Petit déjeuner donc. Il est délicieux (chaud, sucré, calorifique) mais m'a volé mon instant, a crevé ma montgolfière. Et je redescend, lentement, les deux pieds sur Terre.
Le Soleil m'achève, ce frimeur. Tant de parades, tant d'effets, tant de "show". Il met le paquet pour épater le ciel. Moi je suis toujours assis, comme un con, ébloui et tout petit. Il a soufflé ma bougie, ridiculise mon poêle, me rappelle à l'ordre : il est temps pour moi de me lever, faire ma toilette, ma lessive, d'aller couper du bois et chercher de l'eau à la rivière ; de retrouver mes bons vieux plans et de combler les trous d'une journée qui s'annonce longue... "
08.02.2015 (le long de Rae Creek)
" Il existe des avantages clairs à la vie en cabane : simplicité, authenticité, recentrage sur soi et sur l'essentiel. En cabane, la to-do-list est toujours courte et le temps dont on dispose pour accomplir ces quelques tâches simples s'étend devant nous à perte de vue. Par contre en cabane, on s'oublie vite... On oublie vite où on est et pourquoi.
Avec des températures au-dehors de -40°C ou inférieures, cloisonnés dans une pièce de 4 mètres sur 4, on rêvasse. On se perd dans ses pensées. Tout autre occupation est un luxe : hier, la réparation de mes mocassins m'a enchanté - j'étais alors occupé toute l'après-midi, attentif, soigneux, tout à mon affaire. Et quand on ne se perd pas dans ses propres pensées, on se perd volontiers dans celles d'un autre, au travers d'un bouquin. Est-ce le manque de contraste, de perspectives qui rend l'immobilité source d'ailleurs, partout sauf dans l'instant présent ? L'esprit, enfermé dans un corps inerte, tend à s'élever de lui-même - par instinct de survie ? Comme si le monde poursuivait sans nous sa course folle avec le Temps. L'extérieur [de la cabane] en devient presque hostile... La cabane : un trou noir.
Prenez par contre votre courage à deux mains : superposez les couches, enfilez vos bottes et sortez affronter le dehors. Marchez ! Le mouvement est ordonnateur, la marche réaligne votre réalité à la réalité du monde. Chaque pas : une sensation ; chaque effort : une réalisation ; chaque souffle : une renaissance. Prenez de la hauteur ! Contraste et perspectives vous rendront vos objectifs, et vous retrouverez alors un sens à votre présence, ici et maintenant. "
24.02.2015
" Matinée douillette auprès du poêle [à bois], meilleur animal de compagnie. Je le câline et le nourris ; lui ronronne et me réchauffe le cœur. Scotchés l'un à l'autre, nous passons ensemble la première heure du jour. Celle que je préfère !
La cabane est endormie. Ses rondins encore un peu froids, engourdis. Les premières lueurs apparaissent à la fenêtre (trou dans le mur colmaté par deux épaisseurs de plastique) mais pas de trace du Soleil - non, lui c'est bien plus tard qu'il se lève, l'aube est encore longue. Je ne m'y attarde pas, rien de ce qu'il peut y avoir dehors ne m'intéresse : aucune envie de savoir de quoi va être faite ma journée. Ce qui m'intéresse est ici dedans, et je le partage exclusivement avec mon poêle. Rêvasseries. Je touille pensivement dans la grande soupe de mes souvenirs ; parfois, je m'arrête et la goûte, pour en vérifier l'assaisonnement. Ah... cette soupe-là ne retient que le bon, et pourtant j'y jette de tout ! Lecture aussi, ou écriture (c'est le poelle qui me souffle à l'oreille...). Écrire est agréable. L'encre et le papier gardent le secret de l'immortalité : ils figent mon moment, clarifient mes pensées. Ils me soulagent de ma légèreté, de la précarité de mon existence.
Calé dans ma chaise, les pieds au chaud, la fenêtre à ma gauche, une bougie sur un rondin posé à ma droite, et une tasse de chocolat chaud à la main, je savoure ces instants où je suis - et peut-être sont-ce là les seuls instants où moi aussi je peux jouir des quatre dimensions de l'Espace et du Temps.
Mais voilà mon ventre qui me rappelle à l'ordre : je suis toujours homme fait de chair et de sang, et le chocolat chaud ne lui suffit plus. Un frisson dans le dos. Il me faut, à moi aussi, mon carburant. Petit déjeuner donc. Il est délicieux (chaud, sucré, calorifique) mais m'a volé mon instant, a crevé ma montgolfière. Et je redescend, lentement, les deux pieds sur Terre.
Le Soleil m'achève, ce frimeur. Tant de parades, tant d'effets, tant de "show". Il met le paquet pour épater le ciel. Moi je suis toujours assis, comme un con, ébloui et tout petit. Il a soufflé ma bougie, ridiculise mon poêle, me rappelle à l'ordre : il est temps pour moi de me lever, faire ma toilette, ma lessive, d'aller couper du bois et chercher de l'eau à la rivière ; de retrouver mes bons vieux plans et de combler les trous d'une journée qui s'annonce longue... "